Difficile de parler d’avenir sans tomber fatalement dans le formules oiseuses et les gloses sans sans fondements qui font la part belle aux “Y’a qu’à” et aux “il faut que”.

Plus périlleux encore de parler d’avenir lorsque cent cinquante ans d’histoire politique vous contemplent, mais combien est-ce passionnant que de livrer son sentiment au sujet de l’Avenir d’une idée et d’un Cercle dont on souhaite la pérennité et dont on estime les représentants.

Il n’est pas dans notre intention de nous arrêter sur le projet du fameux historien américain Fukuyama qui postule la fin de l’Histoire par l’idée simpliste que le libéralisme extrême, qui nie les différences nationales, ethniques et culturelles, assurera dans le monde futur la venue du nouvel ordre mondial, celui d’une humanité homogène avec l’économie comme unique destin. Notre ambition est plus modeste, mais pas moins simple. L’avenir, ce sont des espérances verbalisées au présent. C’est pourquoi je souhaite pouvoir brièvement définir l’avenir en trois mots: combat, communication et courage.

Quoi de plus positif que d’affirmer ses propres valeurs libérales par le combat politique. A bien des égards, le combat semble aujourd’hui essentiel pour justifier la nécessité d’une conversion épistémologique et faire taire les hémiplégiques de la pensée dominante qui associent trop volontiers le libéralisme à la glorification de la mondialisation et à la faillite d’un système. Notre monde est tellement rempli de fausses valeurs et de compromis idéologiques qu’on en viendrait à penser que le libéralisme n’est rien de plus qu’une manifestation d’un égoïsme triomphant. Du courage, il en faut au quotidien actuellement pour se proclamer “libéral”. Le combat sera, dès lors, nécessaire à l’avenir pour empêcher la diffusion d’un humanisme libéral déformé, voire même caricaturé jusqu’à la haine depuis quelque temps. Faire triompher ainsi une version différente du libéralisme, celle d’un libéralisme cohérent, humaniste et éthique devra tôt ou tard participer de cette volonté de combat.

Quoi de plus nécessaire qu’une communication efficace pour un parti. Dans un monde qui sera à l’avenir inévitablement assourdi par une recrudescence des moyens de communication, il sera impératif de dialoguer rapidement et efficacement pour faire passer ses messages et ses idées.L’actualité le prouve déjà. Demain plus encore qu’aujourd’hui, les mots et le dit auront une importance vitale pour la survie d’une idée. Dès lors, il est à souhaiter que l’on se rende compte que la politique est aujourd’hui aussi devenue des mots, un discours, et sur la scène politique, l’on sait bien que les mots sont parfois plus déterminants encore que les actes.

Finalement, c’est aussi et surtout du courage qu’il faudra à un parti et à ses membres, d’une part pour le sensibiliser encore davantage à la nécessaire association des jeunes générations et des anciens à son combat politique quotidien, et d’autre part, pour démontrer, avec Pascale Salin, dans des actes que “l’humanisme ne peut avoir d’autres visages que celui du libéralisme”.

Les libéraux n’aiment pas la routine! Peu soucieux de leurs archives et encore moins des dates, ils doivent avoir été nombreux, au fil du temps, à estimer que la tradition dont se nourrit le présent méritait peu de souvenirs tangibles! Aussi, le 150e anniversaire du Cercle Libéral nous conduirait à un exercice difficile s’il s’agissait de saluer dans les faits et gestes d’une institution ou d’en mettre en évidence quelques héros.

Il n’y a somme toute rien d’étonnant à cette situation qui n’encourage pas la commémoration et conduit plutôt à s’interroger sur ce qui reste de ce qui fut et ce qui nous le rend attachant aujourd’hui encore. La nature libérale est ainsi faite qu’elle n’a que peu de goût pour les structures. Ainsi y a-t-il eu plusieurs cercles au départ et ceux qui les animèrent partageaient à la fois une certaine méfiance à l’égard du pouvoir et une forte volonté de servir, comme citoyens, l’idéal auquel ils croyaient. 

Le libéralisme est bien plus un état d’esprit qu’une doctrine. Il ne constitue pas, comme certains voudraient le faire croire, un laissez-passer pour faire n’importe quoi. Etre libéral(e), aujourd’hui plus qu’hier, postule que l’exercice de la liberté, la sienne et celle des autres, ne se conçoit qu’avec celui de la responsabilité.L’une n’allant pas sans l’autre, il y a forcément des devoirs à assumer et des limites à s’imposer. Respecter ces valeurs n’est pas vraiment une sinécure.

Le philosophe Fernando Savater décrit fort bien, dans son ouvrage intitulé “Politique à l’usage de mon fils”, cette difficulté que chaque être humain peut ressentir à assumer pleinement liberté et responsabilité. Ainsi, écrit-il, “La liberté, c’est le contrôle de soi: ou bien chacun a auprès de soi un policier, un médecin, un psychologue, un maître, voire un curé, qui lui dicte dans chaque cas ce qu’il doit faire, ou bien nous prenons la responsabilité de nos  décisions et nous sommes de la sorte capables d’affronter les circonstances, pour le bien et pour le mal. Car être libre implique que l’on puisse se tromper et même se porter tort en faisant usage de la liberté: si pour être libres il ne doit jamais rien nous arriver de mal ou de désagréable… alors nous ne le sommes pas.”

Défendre cela n’est pas forcément populaire, celle et ceux qui se réclament des idées libérales le savent bien. Et pourtant, la tradition du Cercle, héritée du 19e siècle, devrait nous conduire encore et toujours à penser à ce que signifie, dans la société d’aujourd’hui, la fidélité aux valeurs de liberté et de responsabilité. Le quotidien ronge les idées, la tentation populiste les dénature. Nous avons plus que jamais besoin de lieux à la réflexion et le débat permettent à l’esprit de s’élever et aux actions de se nourrir de solides convictions. Les fondateurs du Cercle libéral lui avaient donné cette vocation, il ne dépend que de ses membres actuels que de lui permettre de la poursuivre!

Le libéralisme est une pensée philosophique avant d’être économique ou politique. A tous ceux qui ont des doutes sur la vocation morale et humaniste du libéralisme, l’histoire montre qu’il défend le respect des droits individuels fondamentaux. Si la philosophie des droits naturels, formulée par John Locke au XVIIe siècle donne au libéralisme ses premiers fondements, c’est Adam Smith qui évoque, un siècle plus tard, une main invisible du marché qui, assure la coordination des intérêts individuels et conduit à un résultat profitable pour tous, sans la présence d’un acteur qui ait eu à sa charge la responsabilité de l’intérêt général. L’Etat a pour seule fonction de veiller au respect des conditions de la concurrence pure et parfaite, de permettre l’exercice de la liberté individuelle et, le cas échéant, de pallier les défaillances. Les concepts de liberté et de responsabilité ne sont pas indépendants l’un de l’autre. Aucun des deux ne peut exister sans l’autre. En effet, on ne peut être responsable de ses actes que si on est libre de les commettre ou non. Réciproquement, si l’on veut respecter la liberté des autres, il faut assumer soi-même les conséquences de ses actes.

En Europe, la pensée libérale est ancienne et profonde. Elle a été illustrée par une pléiade de grands écrivains, parmi lesquels on peut citer: La Boetie, Montaigne, Montesquieu, Condorcet, Benjamin Contant, Jean-Batiste Say, Alexis de Trocqueville, Jacques Rueff, Bertrand de Jouvel, Raymond Aron, Guy Sorman.

L’origine du Cercle libéral remonte à l’une des périodes les plus agitées et sans doute les plus fécondes de la Genève moderne. Au milieu du XIXe siècle, ses murailles démolies, les mentalités évoluant, la Genève prospère de la Restauration se voit propulsée dans l’ère de la modernité et de la démocratie. L’un des principaux théoriciens du libéralisme politique, Benjamin Constant défend à la même époque un état minimal contre un état à pouvoir étendu et l’idée de la nécessaire séparation des pouvoirs pour assurer le respect des libertés.

Le 18 octobre 1851, septante-trois citoyens genevois décident de former une association dont l’objectif sera de développer des principes démocratiques. Quelques mois plus tard, le 19 janvier 1852, le Cercle national de Genève publie un manifeste dans lequel il expose l’esprit et le but qui l’anime. Sa fusion avec la Société helvétique sous le nom de Cercle fédéral apportera ses forces vives au Parti démocratique lorsqu’il verra le jour. En 1880, nouveau changement de nom. Le banquet de l’Escalade du 12 décembre 1881 réunit plus de deux cents citoyens parmis lesquels Gustave Ador, Eugène Richard, Ernest Pictet, Charles Boissonnas et Louis Micheli. La fête est double puisque le Cercle démocratique inaugure ses locaux à la rue de la Pélisserie 5. Jacques Rutty, son président, résume alors le programme du Cercle: “confiance et persévérance”.

Bien qu’un siècle et demi nous sépare, l’Escalade reste l’occasion privilégiée de réunir nos membres et ceux du parti, les représentants des associations libérales des autres cantons et tous ceux qui d’une manière ou d’une autre défendent le libéralisme. Au fil des ans, d’autres traditions se sont greffées sur notre dîner de l’Escalade comme la remise du prix Picot qui célèbre la mémoire d’Albert Picot, Conseiller d’Etat de 1931 à 1954, l’un des grands bâtisseurs de la prospérité de Genève. Ce prix honore, chaque année, celui ou celle qui a mieux porté nos idées libérales pendant l’année en cours. 

En 1885, le comité du Cercle démocratique, fraction la plus agissante du parti, nomme une commission pour traiter de la question de la représentation proportionnelle. L’essai pratique qui en sort sera source d’inspiration pour les autorités genevoises. De tout temps, le Cercle a été l’outil qui permettait au Parti d’approfondir de grands thèmes afin de garantir la prospérité de Genève. Il a été de tous les combats comme ceux pour la liberté religieuse, la représentation des minorités, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la représentation proportionnelle, les droits démocratiques, le fédéralisme. Rien ne peut remplacer l’action concrète. C’est pourquoi le Cercle libéral ne s’est jamais départi de son but premier d’être un lieu propice à la réflexion politique. Seule association libérale non rattachée à une région géographique du canton, elle regroupe aujourd’hui plus de 400 membres. Toujours soucieuse de remplir son rôle, elle organise, depuis de nombreuses années, des conférences-débats chaque premier mardi du mois dans ses locaux de la rue du Conseil-Général 14. Aux Mardis du Cercle sont abordés des sujets brûlants de l’actualité cantonale et nationale mais aussi des thèmes qui méritent une discussion ou un développement. Le rôle de la Suisse dans les processus de paix, les défis de la médecine et la politique de santé, la précarité à Genève, le développement des zones industrielles, les accords bilatéraux, la sécurité, la justice et la criminalité, les défis énergétiques, le secret bancaire, l’armée ont animé ses rendez-vous du troisième millénaire.

Au moment du 150e anniversaire, je voudrais faire un souhait pour l’avenir qui, je pense, garantira la continuité du Cercle libéral, non seulement en matière d’association affiliée au parti, mais aussi en termes de qualité de réflexion et d’influence dans la Genève d’aujourd’hui. Il existe peu de lieux où les débats soient totalement libres, sans enjeux de pouvoir. Le Cercle s’est particulièrement employé tout au long de ces années à établir un lien entre ses membres et ses sympathisants afin de permettre l’échange intellectuel et la discussion. Que les générations suivantes soient aussi persévérantes que les précédentes. Face aux défis que notre Genève devra relever, faites en sorte d’être toujours partie prenante du débat social, économique et politique.

Le Cercle libéral a été lancé en janvier 1852 sous le nom de Cercle national de Genève. A peine cinq ans après la révolution radicale, il est l’une des premières manifestations publiques de l’opposition croissante, quoique minoritaire, au régime de James Fazy. Il faut dire que l’emprise totale de ce dernier sur le canton commence à susciter le rejet de la part de citoyens profondément démocrates certes, mais soucieux que les développements politiques, économiques et culturels du canton ne se fassent pas au détriment de la liberté individuelle. Loin d’être une réaction conservatrice, le Cercle national se veut un lieu de discussions libres sur l’avenir genevois et suisse de la République. Il se pose dès sa fondation comme alternative au régime radical.